AUTRES FICTIONS

LE RÉSIDENT

Fondation Royaumont – Bibliothèque Henry et Isabel Goüin.

 

Je pris le petit livre de la main de l’Ange et l’avalai ; dans ma bouche, il avait la douceur du miel, mais quand je l’eus mangé il remplit mes entrailles d’amertume.

                 (Saint Jean, Apocalypse, 10, 9- 11)

 

Passage du balai. Ouverture des fenestrons. Produit antipoussière (bombe lustrante et capiteuse). Dessus des tables, lutrin, base des rayonnages. Idem : sommet du placard bas (encyclopédies). Nettoyage genre zinc : geste répétitif, rapide et las. Retour vers le lutrin. Époussetage des pieds (chiffon jaune). Retour aux tables. Bzzz (produit capiteux). Peau de chamois. Centre, puis les bords, retour express : centre. Bichonnage des étagères sous les vitraux. Patte d’une table (façon Renaissance, proche fenêtre). Dépose du balai derrière les placards nord et préparation de la cireuse bleue et grise. Le fil. Prise mur sud, côté porte. Après adaptation d’un disque en feutre, valse lente qui grince en fin de course. Zigzag. Mitan du parquet, base des rayons. Rebelote. Une sorte de tondeuse à gazon avale les traces blanchâtres et restitue, pour quelques instants, la douceur brune du chêne, vite sali. Maria hisse les chaises en plastique beige sur la table réservée aux Traducteurs. Long voyage de la cireuse sous la table néo bavaroise. Du pied gauche, Maria repousse le fil. Elle fait glisser du pied droit un lampadaire en fer forgé. Du pied gauche (chaussure en cuir noir, entre mule et sabot, d’où dépassent le gros orteil et deux doigts), du pied gauche donc, déplace le fil – mouvements qui accentuent la danse -. Aux rotations de la cireuse, tenue à bout de bras, correspond le déplacement du disque fixé sous la tête de l’appareil – déplacement décalé, pas vraiment circulaire, mu par des hésitations d’apparence aléatoires, immuables en fait dans leur chorégraphie mécanique – . Maria harnache le fil électrique sur son épaule droite et traîne quatre chaises de velours rouge. Elle contourne avec lenteur le piano à queue. Enfin, elle débranche le fil de la cireuse, lui fait enjamber le seuil comme on aide une marquise à franchir un gué – avant de disparaître, laissant la porte ouverte -. Non. Elle revient avec un large balai à franges pour achever de lustrer le sol, replaçant d’abord les chaises des Traducteurs devant la table de traduction. Elle fourrage sous la console de l’ordinateur, cerne le lutrin, polit (chiffon jaune) le piétement des tables, évite le piano, remet le paillasson en place à l’aplomb de la porte, donne un ultime coup de balai le long du mur ouest, récupère la bombe bzzz. Le Résident regarde Maria : robe bleu marine à pois blancs et à volant, protégée par une blouse à rayures blanches et bleu ciel, à col blanc. Maria sourit : “Bonne journée, monsieur”. Et le Résident entre dans la bibliothèque. Ils sont douze, les bons Traducteurs. Qui est Judas. Qui, à la fin de la journée, ira se pendre à la tourelle nord parmi les crottes de pigeon. Qui, le jour tombé, ira nourrir ses femmes de récits empruntés aux rayonnages. Qui, rejoignant son foyer, dormira sur un matelas humide. Lequel pissera du nez devant la télé ? Tous paraissent flapis. Ils pourraient prêter attention. On est dans une abbaye quand même ! Allons admirer la surface de l’eau, plate et noire, bourrée de carpes. Sortons de la bibliothèque. Pas besoin de quitter la bibliothèque – le bassin, octogonal, en jouxte le mur, séparée d’elle seulement par la galerie ouest du cloître -. La petite surface noire frissonne. Une plèvre. Au-dessus, très haut, un canard vole lentement, cou tendu dans le ciel. Comme ces bêtes s’allongent dans les nues, tandis qu’elles vont ramassées, compactes, au fil des canaux encerclant l’abbaye. La petite surface noire aimante au travers des murs séculaires, derrière les rayonnages brun sombre où s’empilent les actes des apôtres, morts ou vifs. Seigneur ayez pitié d’eux : ils ne savent pas ce qu’ils font, ils enfument le vélin d’Arches, ils clopent en traduisant Pacheco du Mexique, géant cassé, taureau ; clopent en traduisant Saül Yurkievitch, oriental d’Argentine. C’est en lisant ses vers que Saül tangue le mieux, ses lèvres minces, comme usées par la pierre à fusil, déchirent la brume – trains de la mort -. José Emilio Pacheco ronge les vers, tête carrée dans sa poitrine, excédant des souffrances d’enfant. Les Traducteurs, lazzi par lazzi, progressent. Un poème est un poème est un poème, si señor. Du cirque, une guillotine. Tous des frères siamois. L’un toujours souffre par l’autre – altruisme -. Mais dans un livre la charité s’efface page après page. Dans un livre, Seigneur, en papier bible, chaque caractère ressort, à vif. La mélancolie catapulte chaque ligne, la décharge dans une nécropole du mot à mot -. Puis vient le silence, raclements de pieds exceptés, sur le carrelage, au-dessus, à l’étage des chambres pour séminaristes d’entreprise. Livres = silence préservé par des fenêtres vitraillées, hermétiques, sauf une dont un verre hexagonal fut partiellement brisé, par une pierre : sans doute un de ces gamins qui participent aux noces du samedi soir, annoncées au moyen de panonceaux: “Pierre et Marguerite”, alors qu’on devrait lire : “Pierre aime Marguerite”. Les mariés se font photographier dans la bibliothèque, devant le lutrin à forme de tombeau, encadrés par deux piliers qui supportent les croisées d’ogive néogothiques. Marguerite s’assied sur un fauteuil Louis XIV à tapisserie chassieuse, son dos épouse une scène bucolique : bergers, bergères dansent sous les chênes tandis qu’un chiot sautille. Elle dispose le satin de sa robe et regarde Pierre (debout), regardant l’objectif. Hourra ! Unis pour l’éternité sous l’œil des dix-sept mille cinq cents trente-sept volumes. Quand la mariée aura regagné la Rolls louée pour l’occasion, plus tard dans l’après-midi, on viendra changer la serrure de la porte joignant la bibliothèque à la salle de musique – ainsi une seule clé, ou presque, suffira, explique l’homme de l’art, pour ouvrir toutes les portes, ou presque, de l’abbaye, alors qu’il en fallait cent-cinquante jusqu’alors. Quel trousseau ! Le gain est évident. Plus tard encore, tandis qu’il revisse un nouveau canon dans la serrure, une commission de sécurité, deux gendarmes et deux pompiers, guidés par le régisseur de l’abbaye, viendra, rapide, inspecter les lieux. Un pompier toque de l’index sur le lutrin en merisier. Tout va bien. Les ifs poussent dru devant la porte, le ciel traîne des nuages clairs avant que César enflamme les navires égyptiens. Tout est calme. Le Résident vaque, faisant claquer ses sandales sur le gravier blanc des allées, quand la brise de novembre s’empourpre. La sirène d’alarme retentit à dix-sept heures trente-quatre. Venue de l’île de Pharos, une traînée suffocante prend à la gorge. Des portes craquent. Les braises, surgies à la fois du lac Maréotis et du Sérapéion, percent le blue-jean du Résident. Le feu attaque les jardins botaniques et, dans la ménagerie d’animaux rares, la crinière d’une girafe flambe. De part et d’autre de la bibliothèque, les appartements des savants que le souverain pensionne forment des torches distinctes ; à l’arrière du bâtiment, les salles d’étude et celles abritant les collections d’instruments explosent sous la poussée des flammes. La ville des derniers Lagides – scène où César, Cléopâtre, Pompée, Marc Antoine, Ptolémée XV et Auguste se déchirent – s’effondre. Le Résident se tourne vers la Méditerranée : Pharos ? Une nuée ardente. Dans la fournaise, Archimède, Callimaque, Théocrite et Clément partent en fumée. Origène, Philon le Juif et l’École Néoplatonicienne sont en cendres. Hécale et les Iambes, L’Ibis qui fait pester Apollonios de Rhodes, et les Porismes, les Idylles exquises des bergers (ce bucolique que le Résident prise tant) : les barbares en ont fait un lot qui dégage une fumée âcre. Hommes et livres, tous ensemble, et des choucas tourbillonnent puis s’abattent. Si señor. Le Résident pense à Diophante et à Didyme l’Aveugle, à Philon et à Apollonios de Perga. Il frissonne, songeant à la propagation rectiligne de la lumière. Le feu progresse en ligne d’Eunostos jusqu’à Lochias. Une salle reste épargnée – combien de temps ? -. Le Résident en franchit la lourde porte. Il ferme le verrou. Réflexe stupide. La pièce s’illumine d’une lueur orangée que les voûtes semblent étouffer. Bientôt le plomb des vitraux fondra – à moins que les verres explosent d’un coup, criblent les papyrus, culbutent les précieux rouleaux aussitôt carbonisés -. Rien n’a encore bougé. Il règne toujours cette paisible atmosphère de cire et de vieilleries qui fait se pâmer les visiteurs, à 90% bon chic bon genre. Ils s’introduisent dans la bibliothèque sitôt qu’on omet de tirer le verrou : cela leur rappelle les salons provinciaux et les visites du premier de l’an à la Tante Lili, dont les chats empaillés trônaient sur la cheminée de marbre. Elle abhorrait les livres. Si señor. Le Résident remarque ce qu’il n’a jamais perçu, qui crève les yeux maintenant : le vitrail droit a perdu un verre. Plus précisément, à deux mètres cinquante de haut (en partant du plancher de chêne sombre), un verre hexagonal de vingt centimètres, en partie cassé, laisse passer la lueur à vif de l’incendie. Le Résident approche l’escabeau branlant. Non sans peine, il escalade le soubassement de la baie. Il doit ensuite se baisser, comme on se penche pour regarder par un trou de serrure, afin de coller son regard au verre brisé. L’œil gauche du Résident considère le paysage cadré par les limites du verre. Cela l’émoustille de voir ainsi le monde. La nudité surprise d’une fille ne le ravirait pas davantage. Son œil bute d’abord sur la section du barreau érigé contre les voleurs de papyrus. La tranche du barreau est dirigée vers le vitrail, en sorte que le regard suit un biseau gris ardoise sans guère de relief avant de buter, à mi-hauteur, contre la masse vert amande d’un if taillé en cône. De là il s’égare vers la droite, embrassant une parcelle miroitante du canal, un morceau de pelouse – rive du canal, autre morceau de l’allée de gravier-. Il distingue aussi un fragment du petit pont qui enjambe le cours d’eau, un enchevêtrement de branches et de troncs de marronniers dénudés, un ciel transi de rouge et de gris, sans guère d’aspérités et, derrière, un bout de la porterie, lambeau de maçonnerie blanchâtre coiffé d’une ligne : la bordure rosée de sa toiture. La difficulté vient de ce que, même en plaquant l’œil contre le verre au risque de se blesser, le regard glisse, élargissant le champ d’observation au reste du parc. Ce que l’on aime échappe toujours. Si señor. Un rouge-gorge, très gros, surgi de la droite, trace une diagonale qui atterrit au pied de l’if. N’était une chaleur intense et cette lumière orange – identique à celle de terra cota en fin de cuisson, qui les transforme en boyaux de soleil -, n’était cette solitude de la lumière, la paix régnerait encore de ce côté du parc. L’équilibre des plans chers à ce vieil animal d’Archimède ne semble pas menacé, (…)

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Incendie de la bibliothèque d’Alexandrie.

« Le Résident » a été écrit en 1998 lors d’une… résidence à la Fondation Royaumont, à l’initiative de Nathalie Le Gonidec, responsable de la bibliothèque de la Fondation. Qu’elle en soit remerciée.

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CHANIA

Chania (île de Crète), le port en 1998.

Aucune figure humaine ne m’est aussi étrangère   même plus un   visage de tant l’avoir regardée elle s’est fermée partout sur des marches d’escaliers inconnus.                                                     

                                                                                 Alberto Giacometti, Le Rideau brun.

Frash ! Moi. Arc-bouté au volet. Résistance. Pénombre. Frash ! Rompue. Battant gauche : ça vient. M’apercevoir, baissé, cassé, saisi. Spatule, ébauchoir, couteau avec manche plastique, bâton magique, heureusement que Martine est là. Me voir, forçant le bois humide ! Grince sur le carrelage. Je m’agrippe. Persienne. L’ouverture. Ligne bleue, verticale, d’éclat : réverbération, adoucie (l’automne), encore violente, dans la maison du Crétois. Balcon. En face, ce fut consulat italien, boîte sélect de nos jours. A gauche, la mer. L’angle de la rue. Perforation. Rade. La ville, en courbe. Aux fins fonds, blanc laiteux. Amas de rochers au premier plan. Entrés dans la maison par l’arrière ? Ou par la façade décrépie : coulures, barre d’acier. Rouille, dénudée, au-dessus fenêtre droite. Du jardin – huit mètres sur cinquante, pente douce, jetée vers la montagne – ne reste pas figuier, aucun olivier. L’herbe : sous gravats blancs, qui butent sur une route, en haut, sur béton : immeuble, médiocre l’immeuble, jamais fini. C’est la mer qui prime. Écran. Avec, derrière la maison, l’hibiscus. L’odeur. Celle de la mer. La maison ne sent pas le moisi. Les nippes, les meubles entassés tiennent le coup. Même si tout a. C’est la valdingue. Le décès. Terrain vague. Il y avait une treille. Les figues noires grosses comme le poing : du miel. Une camionnette campe. La maison, très petit labyrinthe, tuiles déchaussées, que jouxte une citerne poupette. Cube. Une pièce côté rue; derrière, la cuisine, côté jardin, avec évier en marbre blanc, brut. Gros bac. Le couloir, bref. A l’extrémité l’escalier. A sa droite une pièce, toujours côté rue ; derrière, chambre, avec deux planches en étagère, fatras, livres de poche. Disposition identique à l’étage. Six enfants, les parents. Atelier de couture de mère-grand de moi. Antre du chausseur – père-grand de moi, souliers sur mesure. Leurs enfants tous nés là. Quelle chambre ? Nicolas, Antoine, Agapie, Hélène, Elie. Et petite Madeleine, venue mourir à Paris (si fort le chagrin du Crétois-grand : muet un an, sauf les sanglots, dès qu’il ouvrait la bouche, et ses cheveux : blancs, d’une nuit). Et les orangers ? Une maison ouverte. Clientes de mère-grand, leurs robes ; odeur des cuirs. Tous essayages. Marius, oncle-grand, œil de verre qu’il ôte, dandy, Français. Ah plaisir des gosses. Spatule, ébauchoir, couteau avec manche plastique, bâton magique, heureusement que Martine est là : a trouvé trace ancêtres. Deux figurines – photos noir et blanc, vingtaine de centimètres, sur contre-plaqué, collées, découpé. Silhouettes. Guignol. Karageorgis. Chanfrein biseauté vers l’arrière en sorte que les silhouettes : une feuille ! Presque. Deux enfants sages, fille, gars, debout, cinq sept ans. Pas identifiables ? Mais les regards, un air de famille. Paraît que la maison risque de s’effondrer – enfin la façade sur mer, plus attaquée. Atmosphère saline, qui laisse des briques à vif, sans enduit, l’écaille. Moi j’en crois rien. Qui fabriqua figurines ? Ultimes habitants ? Maria, la Hongroise (dansait czarda sur les tables) ? Antoine, mari. Comptable : ça détoure un portrait. Heureusement que Martine est là. A découvert une poupée : paysanne crétoise, fagot sur ses épaules. Plastique qui semble de bois. On entend peu la mer pourtant si proche, là, portée de mains. Mais l’iode ! Lustres 1930, guingois, sur carrelage. Photo militaire, encadrée : genre chasseur alpin – enfin ce grand béret -, par terre, sous vitre. A la guerre de 14, le Crétois avait sept ans. Une seule fleur d’hibiscus à l’extrémité du jardin. La voisine offre une fleur à Martine, à chair blanche, élastique, genre poulpe. Je me dis : nous sommes dans le ventre du poulpe. Nous a pieuvrés – à l’escale de Naples ? Au détour du Vésuve ? Hôtesses déglinguées d’Olympic Airways. Le calamar gobe, Boeing clique sec : découpage des côtes, Méditerranée courbe. Masses : ciel et d’eau. Limbes. Viol. Les moutonnements, les flocons. Iles grises, claires, sèches. Gargouillis hellènes dans carlingue, du pilote, bouffées par haut-parleurs. C’est là, sans doute là : la maison mangée par la nuit. Enfin, presque sûr. Fenêtre de l’Hôtel Halepa, l’ancien consulat anglais. Le Crétois en parlait. Fenêtre chambre 217 : sur le jardin de la maison, l’arrière de la maison coiffé de sa citerne. Toute petite maison. Toute petite demeure. Fragile. Berceau, livré par la fenêtre. Hasard ? Demain on vérifiera. Flacon de tsikoudia, deux verres sur une tablette. Le Nouveau Testament est dans le tiroir de la table de nuit. Un coin de mer, palmiers de villas cossues. (…)

(1998)

Chania (La Canée, Crète), maison.

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JOHN BOSTRÖM

Bracelet électronique
Personne mieux que John Boström ne sait ce qu’on peut faire en quinze secondes. Quinze secondes = quatre signaux minute. Deux cents quarante signaux heure. Cinq mille sept cents soixante par jour. Cent soixante douze mille huit cent par mois. Six mois = un million trente six mille huit cent signaux. John Boström ne croyait pas qu’un jour sa vie deviendrait ainsi minutée. Un million trente six mille huit cent fois quinze secondes, c’est la limite supportable. Les spécialistes l’affirment : on ne dépasse pas six mois sous bracelet. Bien que protégé par une chaussette (une chaussette opaque est conseillée), le bracelet de Boström heurte les marches de l’escabeau. Sa cheville ne heurte pas systématiquement l’escabeau mais quand cela arrive c’est la catastrophe. Le bracelet électronique émet un signal toutes les quinze secondes. Si John Boström n’était poseur de fenêtres, son bracelet ne heurterait pas l’escabeau. Il n’est pas en prison. Quinze secondes ce n’est pas la prison. Les bruits de la prison c’est autre chose. Le signal ne fait aucun bruit. On ne l’entend pas : on l’attend. On ne l’attend pas longtemps mais l’attente semble d’autant plus longue qu’on ne l’entend pas. C’est pourquoi il faut un suivi psychologique. Quinze. Vérification ponctuelle. Signal. Quinze. Le bracelet marque le pas. John Boström est localisé. Quinze quinze. Un baiser de quinze secondes c’est toujours bon à prendre – ce que lui dit Laura. Soudain rien. Plus personne. Un pays étranger, un pays d’intervalle. Apnée de quinze. Il plonge à quinze sans respirer ? Respirer quinze secondes ? Un boîtier en plastique noir de la taille d’une boîte d’allumettes. Scellé au poignet. Ou à la cheville. Poignet ? Cheville ? Cheville. Le mieux c’est d’essayer. Sous une chaussette opaque c’est épatant. Ils veulent localiser Boström en continu. Le soir, surtout. La nuit. Partout. Signal. Quinze. Et le suivi social ? Tellement épuisant que John n’entend plus le réveil sonner. Et qui, dans ce cas, poserait les fenêtres ? Quinze secondes. Une peine en soi. Un vide. Comment dissimuler le vide ? Impossible. Le Contrôleur de l’Administration Pénitentiaire surgit à l’improviste, sans préciser vraiment qui il est, pourquoi il vient. Pour John, la marge d’absence tolérée n’excède pas cinq minutes. Le Contrôleur de l’Administration Pénitentiaire est là pour ça. Il tâte la cheville. L’état de marche. Vous n’allez pas récidiver John Boström ? La dernière fois vous n’avez pas répondu aux appels. Ça ne vous blesse pas la peau au moins ? Démerdez-vous. On n’est pas à la Jamaïque ! Si le juge juge ça juste, vous avez toujours le choix : cheville ou poignet – mais il ne faudrait pas me prendre pour votre pédicure. Vous n’allez pas râler pour un bobo ! La prochaine fois, demandez du sparadrap à Madame. La boîte réceptrice grise posée près du téléphone vous n’y touchez jamais. Sous aucun prétexte. Comme si c’était votre âme. Si vous en possédez. Allez, soyez heureux, fiston. Quinze secondes c’est pas la mer à boire. Mettons les choses au point : le plus dur c’est d’intégrer le temps rythmé de quinze secondes en quinze secondes. Et le vide entre chaque quinze secondes plus dur encore. D’où suivi social psy. Capter le vide c’est ? Vivre quinze secondes. Rebelote. 1515 ? Marignan ! Vite, vivre. Repars. Plus vite plus lent comme tu peux. Mais toujours quinze. Peine privative ou mesure de réinsertion ? Deux cas de figure à traiter en quinze. Enfin je ne sais. Parfois j’essaie de parler quinze secondes pile. Ça ne marche pas. Jamais. Essaye. Élargissement du filet. Net-widening. Éviter le traumatisme de l’incarcération. Ratisser large. Quinze secondes c’est vite parti vite gagné vite perdu – enfin vite dit ! Expérimentations PSE (pilotes de surveillance électronique) ? 1989, 1983, 1987, 1995, 2000, au gré des nations. C’est dans l’air, à l’Occident que le monde nous envie. Moi j’y pense depuis longtemps. Je résume : quinze secondes, le boulet des forçats, mais plus léger en attendant la micropuce intradermique. Dans le cerveau ? Pourquoi pas. 1515 ? Marignan. Forcément ça brouille les repères. A peine le temps de, c’est déjà quinze.

(2002)

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